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Les établissements pénitentiaires français s’orientent-ils vers un scénario à l’italienne, avec mutineries et émeutes ? C’est ce que craignent l’Association des avocats pour la défense des droits des détenus, l’Association nationale des juges de l’application des peines, l’Observatoire international des prisons-section française (OIP), le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature dans un communiqué publié le 17 mars 2020. Une réaction qui fait suite à l’annonce, quelques heures plus tôt, par la ministre de la Justice de plusieurs mesures destinées à lutter contre la propagation du Covid-19 dans les prisons (suspension des parloirs, impossibilité pour les intervenants extérieurs de se déplacer, adaptation des sorties en plein air ou des activités en espace non confiné…). Or, ces organisations estiment que « la situation des établissements pénitentiaires français ne permet pas aujourd’hui de faire face à la crise du Coronavirus ».

Téléphone. Concernant l’utilisation des moyens de communication, présentés par la Chancellerie comme une alternative aux parloirs pour maintenir les liens familiaux, elles précisent que les détenus ne peuvent utiliser internet et ont un accès restreint au téléphone : « pour ceux – la grande majorité – qui ne bénéficient pas encore d’un téléphone fixe en cellule, ils dépendent du personnel pénitentiaire pour accéder aux cabines placées sur les coursives ; et pour tous, ces appels ont un coût important, qui limite de fait leur capacité à prendre des nouvelles de leurs proches ». Selon le site de l’OIP, les 17 et 18 mars, après l’annonce de la suppression des parloirs, des mouvements de détenus ont été signalés dans un certain nombre de prisons (Maubeuge, Douai, Perpignan, Nancy, Valence, Saint-Étienne, Angers, Toulon, Bois d’Arcy, Paris, Villefranche-sur-Saône, Aiton, Grenoble, Corbas, Saint-Quentin-Fallavier, etc.), entraînant parfois l’intervention des équipes régionales d’intervention et de sécurité.

Pour apaiser la situation, la ministre de la Justice a annoncé le 19 mars qu’à partir du 23 mars « et jusqu’à la fin de la période de confinement, chaque détenu pourra bénéficier d’un crédit de 40 € par mois sur son compte téléphonique, lui permettant de rester en contact avec sa famille et ses proches », ce qui représente 11 heures de communication en France métropolitaine vers un téléphone fixe et 5 heures vers un téléphone portable. Les proches pourront en outre laisser des messages vocaux en composant le 03 20 16 02 94 (numéro non surtaxé). « Les détenus les plus démunis pourront quant à eux bénéficier d’une aide majorée de 40 € par mois leur permettant notamment de cantiner, dans un contexte où les familles pourraient rencontrer des difficultés à effectuer des virements », a ajouté la garde des Sceaux, précisant que pour accompagner la suspension des activités en détention, la gratuité de la télévision serait assurée.

« Si l’épidémie devait se diffuser en détention, les unités sanitaires des établissements pénitentiaires, déjà surchargées et en sous-effectif, ne seraient pas prêtes à faire face à un afflux massif de malade »

Surpopulation. Les conditions de détention sont également pointées du doigt par les organisations d’avocats et de magistrats et l’OIP. Dénonçant l’insalubrité, la promiscuité et la surpopulation – 144 établissements pénitentiaires ou quartiers sont en situation de suroccupation au 1er janvier 2020 selon les chiffres du ministère de la Justice –, ces dernières rappellent que les détenus n’ont pas le droit de porter de masques ni d’avoir de gel-hydroalcoolique, l’alcool étant interdit en cellule, et n’ont pour la plupart pas de gants. Elles relèvent également que « les contacts entre détenus et personnel pénitentiaire sont inévitables – alors que les surveillants, eux aussi, rapportent manquer de matériel de protection ». La Chancellerie a, de son côté, annoncé la distribution de 100 000 masques aux personnels pénitentiaires. Ces derniers seront principalement distribués « aux personnels ayant été en contact avec des détenus positifs au Covid-19 ou susceptibles de l’être », a précisé la ministre le 18 mars dans une interview à 20 minutes, révélant qu’à Fresnes, quatre cas avaient été détectés, un parmi les détenus et trois parmi le personnel. S’y ajouteraient une surveillante selon le syndicat Force ouvrière (Le Parisien, 17 mars 2020) et un membre du personnel soignant de la maison d’arrêt de La Santé selon l’Observatoire international des prisons. Les associations d’avocats et de magistrats et l’OIP estiment que « si l’épidémie devait se diffuser en détention, les unités sanitaires des établissements pénitentiaires, déjà surchargées et en sous-effectif, ne seraient pas prêtes à faire face à un afflux massif de malade ».

Sortir de ce vase clos. S’inscrivant dans la lignée des recommandations d’Adeline Hazan, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, « de réduire la population pénale à un niveau qui ne soit pas supérieur à la capacité d’accueil des établissements », les organisations demandent donc au gouvernement de « permettre à un maximum de personnes de sortir de ce vase clos ». D’abord, « en proposant, adoptant ou suscitant toute mesure utile pour limiter les entrées » : « privilégier les peines alternatives à l’incarcération et le placement sous contrôle judiciaire à la détention provisoire, différer la mise à exécution des peines de prison, et surtout limiter les audiences de comparution immédiate, particulièrement pourvoyeuses d’incarcération » mais « classée par la Chancellerie au rang des contentieux d’urgence appelés à être maintenus ». Seul le report de la mise à exécution des courtes peines d’emprisonnement a pour le moment été demandé aux juridictions par la place Vendôme. « Ces mesures sont d’ores et déjà suivies d’effet : on comptabilise ces derniers jours une trentaine d’entrées en prison quotidiennes contre plus de 200 habituellement », vient d’affirmer Nicole Belloubet.

Les organisations d’avocats et de magistrats et l’OIP appellent ensuite à favoriser les sorties et demandent que des instructions soient données aux parquets « afin de systématiser et généraliser les mesures déjà prévues par la loi : libérer sous contrôle judiciaire les personnes prévenues, multiplier les aménagements de peine et anticiper la libération des personnes en fin de peine, suspendre les peines pour raison médicale des personnes les plus vulnérables, etc. ». « Des dispositions exceptionnelles pourraient par ailleurs être prises en plus de ces mesures : augmentation des réductions de peine, examen des demandes de libérations sous contrainte sans réunion de la commission d’application des peines, loi d’amnistie, etc. », proposent les organisations, avant de conclure : « l’emprisonnement constitue un risque sanitaire qui met aujourd’hui en danger la vie de ceux qui y sont condamnés et de ceux qui les accompagnent ». Pour mémoire, le 30 janvier dernier, la Cour européenne des droits de l’Homme avait d’ailleurs condamné la France en raison de la généralisation de la surpopulation carcérale et lui a recommandé de mettre en place un plan d’actions pour y remédier (Gaz. Pal. 10 mars 2020, n° 372y9, p. 20). Laurence Garnerie